Théâtre indépendant en Suisse romande – Course pour la diffusion contre course au cachet
Qu’est-ce que le théâtre indépendant en Suisse francophone ? Quels problèmes récurrents va-t-il devoir résoudre ? Une présentation exhaustive relèverait de la gageure. Un rapide survol du terreau romand permet cependant de dégager les questions qui préoccupent la profession – et reviennent régulièrement sur les bureaux des magistrats de la culture ! – mais aussi d’esquisser des nouvelles perspectives dans le paysage des métiers du spectacle. Des propositions concrètes mûrissent également, comme la mise sur pied d’un Fonds intercantonal pour la création indépendante et l’aide à la tournée.
Pour rappel : en Suisse romande, le théâtre dit « indépendant » se compose essentiellement de compagnies de théâtres. Elles sont à proprement parler des associations à but non lucratif (hautement dépendantes des subventions cantonales et communales). Le terme d’indépendant – qui n’a rien à voir avec un statut professionnel – signifie que ces compagnies se distinguent des grandes structures de production et des théâtres municipaux subventionnés. En effet, il n’existe pas de troupe permanente attachée à un lieu de création.
Premier employeur romand
Le théâtre indépendant assure environ 70 % des emplois pour les comédiennes et comédiens romands. Une majorité d’entre eux sont affiliés au Syndicat Suisse Romand du Spectacle (SSRS), qui défend leurs intérêts (respect des assurances sociales, informations générales, etc.) et les soutient dans leurs rapports contractuels avec leurs employeurs. Il cherche prioritairement à promouvoir l’emploi et à améliorer les conditions de travail des professionnels du spectacle.
Le Syndicat Suisse Romand du Spectacle, actuellement membre associé du Syndicat des Services Publics, est le partenaire social de l’Union des Théâtres Romands pour la Convention collective de travail (CCT) : elle s’applique pour l’engagement des comédiennes et comédiens au sein des théâtres qui en sont signataires ; pour tous les autres contrats, la CCT est uniquement citée en référence, et chaque employeur s’aligne au mieux sur ses dispositions.
Genève et Vaud dans l’œil du cyclone
Actuellement, la majorité des productions indépendantes voit le jour dans les cantons de Vaud et Genève ; les moyens financiers à disposition, les salles de spectacle et la présence des principales écoles de formation théâtrale entretiennent un afflux constant des professionnels sur la moitié occidentale des berges du Léman.
Un spectacle naît grâce à une subvention, mais son existence est assurée s’il est acheté par les théâtres et les lieux d’accueil
Les spectacles y abondent, et les autorités cantonales et communales ont à répondre à un nombre constamment croissant de demandes financières, sollicitées par des compagnies toujours plus nombreuses : s’il arrive que certaines disparaissent rapidement, une grande partie d’entre elles propose régulièrement des spectacles, en fonction des subventions obtenues ou non. L’augmentation du nombre de compagnies – spécifiquement dans ces deux cantons – induit des conséquences évidentes sur les budgets des productions et sur les pratiques professionnelles des comédiens.
Tournées qui tournent court
En plus de la saturation des lieux de créations et du manque de salles de répétitions, la multiplication des projets fragilise les possibilités des autorités subventionnantes de répondre aux besoins économiques réels d’une production, et encore moins à ceux qu’il faudrait pour l’exploiter avantageusement. Dès lors, l’aide à la tournée incombe principalement à la Corodis, qui navigue avec une budget global de 400’000 francs. Ce foisonnement génère cependant une fragmentation de l’agenda des comédiens : afin de remplir au mieux sa saison, un comédien sera incité à travailler sur de nombreux projets relativement courts, puisque ceux-ci dépassent rarement les deux ou trois mois d’engagement que représentent les six semaines de répétitions et les deux, parfois trois semaines de jeu. Si aucune reprise ou tournée n’est garantie, mieux vaut pour lui accepter un maximum d’engagements, quitte à ne plus être disponible si une reprise doit voir le jour.
Trop de créations sans lendemain
S’établit ainsi l’idée qu’un projet théâtral n’a pour durée de vie que celle de sa création, et que réunir toutes les conditions pour la faire tourner relève de l’exploit administratif ou du coup de chance. A l’inverse, on peut aussi regretter la trop courte durée de certains spectacles créés avec des budgets parfois importants ; or, la vente du spectacle et une tournée dans la foulée de la création peuvent prolonger de façon significative, et à moindres frais, les contrats des artistes engagés.
Une meilleure gestion des spectacles et des conditions d’exploitation optimales permettraient de fidéliser les comédiens à une équipe
Concernant les reprises, les répétitions grèvent souvent lourdement le budget alors que les représentations sont financées par l’achat du spectacle. Sans une aide spécifique pour ces semaines de travail (remise en ordre du décor, éventuel remplacement de distribution, etc.), toute la tournée peut tomber à l’eau. C’est finalement l’ensemble du public romand qui en pâtit, puisqu’il ne peut avoir accès à des spectacles qui ne bénéficiaient pas de l’expérience ni des moyens nécessaires à une diffusion efficace dans les lieux d’accueil, ou dans les vitrines plus prestigieuses des théâtres d’institution.
Charte à l’étude
Apparaît alors le problème, récurrent s’il en est, du mode d’attribution des subventions et des critères de sélection : qualité du projet, de la distribution, renom du metteur en scène, succès auprès du public, ancienneté et rayonnement de la compagnie, etc. Depuis quelques années, l’association Basis, en partenariat avec le Syndicat Suisse Romand du Spectacle, planche sur le projet d’une Charte des compagnies applicable à l’ensemble de la Suisse romande (consultable sur le site www.basisnet.ch) ; sous sa forme actuelle, elle définit une sorte de règle du jeu entre l’activité des compagnies et les engagements des autorités envers elles.
Ce projet est régulièrement rediscuté par la profession, mais n’a pas encore obtenu le soutien politique nécessaire. On peut aussi lui reprocher de ne pas définir clairement les passerelles entre la création romande et l’institution, objectif qui devrait être l’un des points centraux du cahier des charges encore inexistant des directeurs des grandes scènes romandes. Dans la foulée de cette initiative, relevons avec satisfaction que depuis cet été, les principales associations professionnelles du spectacle vivant (Syndicat Suisse Romand du Spectacle, Union des Théâtres Romands, Basis, Artos, Pool des théâtres romands et Corodis) ont décidé de se réunir régulièrement pour remettre en chantier ce projet d’envergure régionale.
Créer un Fonds romand intercantonal
À l’exemple de la Haute école de théâtre de Suisse romande, soutenue par l’ensemble des cantons francophones, ou comme le Fonds régional d’encouragement à l’emploi mis sur pied par Action Intermittents (voir encadré en page 9), une réorganisation au niveau régional s’impose : depuis quelques années, les cantons romands ont pris conscience de l’importance de la mise en valeur de leurs créateurs en les dotant de vrais outils de travail, offrant ainsi à leurs populations respectives des salles de spectacle dignes de ce nom : l’Espace Nuithonie près de Fribourg, la Maison des Concerts à Neuchâtel, les Halles de Sierre, pour ne citer que celles-ci.
En laissant aux villes la responsabilité du soutien à la création locale, les cantons pourraient unir leurs moyens sous la forme d’un Fonds intercantonal pour la création indépendante et l’aide à la tournée. En plus des aides spécifiques comme les contrats de confiance, les sommes ainsi rassemblées permettraient une répartition plus équilibrée de la profession sur l’ensemble des sites de création, offrant à chaque équipe de production les mêmes chances d’obtenir un soutien financier, quel que soit le canton où elle travaille.
Effort commun pour la diffusion
Une partie de ce Fonds pourrait être destinée au soutien à la diffusion : par exemple une aide financière automatique pour tout nouveau lieu de tournée – diminuant ainsi le coût de l’opération pour la compagnie qui en bénéficie et réduisant aussi le prix du spectacle. Un spectacle naît grâce à une subvention, mais son existence est assurée s’il est acheté par les théâtres et les lieux d’accueil... Pour les reprises, ce soutien sera souvent indispensable afin de garantir la semaine ou deux de raccords nécessaires à la remise en route d’un spectacle. Enfin, pour établir un lien entre le théâtre « off » et l’institution, les théâtres officiels pourraient être associés à ce Fonds.
Éradiquer la course au cachet
Les différents secteurs de la production professionnelle théâtrale devraient être mieux définis : à ce jour, l’Union des Théâtres Romands ne compte que cinq théâtres qui ne peuvent rendre compte à eux seuls des besoins de l’ensemble des producteurs professionnels ; Basis et le Syndicat Suisse Romand du Spectacle pourraient dès lors établir un contrat qui soit plus souple que la Convention collective de travail à laquelle s’allierait l’Union des Théâtres Romands. Ce rassemblement des producteurs de la scène indépendante confirmerait leurs responsabilités d’employeurs, et apporterait un poids capital dans les négociations pour une augmentation des moyens de production.
Répétons encore ici que l’intermittence n’est pas un choix des professions du spectacle, mais qu’elles subissent la conséquence d’une réalité structurelle et économique. En définitive, un comédien est constamment à la recherche d’un emploi à plein temps, qu’aucun employeur ne peut lui offrir actuellement !
Une meilleure gestion des spectacles et de leur exploitation en Suisse – et à l’étranger ! – permettraient de fidéliser les comédiens à une équipe, d’envisager un travail suivi grâce à des engagements prolongés et d’inverser la tendance de la course au cachet. Ces réflexions demandent une profonde remise en question des pratiques des autorités et de la profession elle-même. Elle aurait tout à y gagner pour tordre le cou à cette idée fausse selon laquelle il y a trop de comédiens en Suisse romande : ce sont les structures adéquates qui font défaut pour les engager durablement.
Principales associations professionnelles
SSRS
Syndicat suisse romand du spectacle
Regroupe tous les professionnels du spectacle vivant et de l’audiovisuel, mais principalement les comédiennes et comédiens.
UTR
Union des Théâtres Romands
Partenaire social de la Convention collective de travail. Membres actuels : le Nouveau Théâtre de Poche, la Comédie de Genève, le Théâtre de Carouge, Am Stram Gram à Genève et le Théâtre Boulimie de Lausanne.
Basis
Le Bureau des Arts de la Scène Regroupe
soutient les compagnies de théâtre par le biais d’antennes dans les cantons romands.
Artos
Association des techniciens de théâtre
Association ayant mis sur pied un Brevet fédéral de technicien de plateau. S’occupe de formation continue ainsi que de la formation de gestionnaires culturels.
Corodis
Commission romande de diffusion des spectacles
Pool des théâtres romands
Rassemblement des théâtres romands et de France voisine qui accueillent les spectacles francophones suisses et internationaux.
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