Une Charte des artistes contre la vindicte populiste

Numéro 5 – Décembre 2004

Vilipendés, dépeints pêle-mêle comme de la « racaille de gauche » élitaire vivant aux crochets du peuple contribuable, les artistes sont devenus la cible de prédilection de certains cercles politiques. Où le sport tient lieu de panacée pour fortifier corps et esprits. En pointant du doigt la culture, les valeurs humanistes qu’elle insuffle sont visées en priorité. Il était donc urgent que les milieux concernés se concertent et consignent dans une Charte leurs aspirations et engagements L’Association enJEUpublic, qui publie CultureEnJeu, y contribue activement.

En quelques mois, l’art et les artistes subissent trois attaques massives de la part des autorités et élus politiques de droite. Un mauvais jeu de mot sur le conseiller fédéral chargé de la culture, dans un film commercial médiocre, provoque une mise en accusation globale des artistes qui seraient noyautés par la gauche ; le directeur de l’Office fédéral de la culture (OFC) est licencié. Un détail de quinze secondes dans une exposition au Centre culturel suisse de Paris que personne ou presque n’a encore vue est monté en épingle et, impunément, des politiciens peuvent retrancher un million du budget de Pro Helvetia. Et comme si la volée de baffes n’était pas comble, voilà que l’association des Autrices et auteurs de Suisse tend « gauchement » l’autre joue au député-prosateur UDC Oskar Freysinger. Lequel, avec ses pairs, ne manque pas l’opportunité de rajouter quelques louches de venin pour faire bon poids.

Les artistes de toutes disciplines ont convenu qu’il fallait ouvrir un grand débat qui aboutisse à la réalisation d’une Charte des artistes et des arts

Ce sont cette présomption, cet acharnement à faire flèche de tout bois et l’impudence d’élus du peuple qui ne prennent même pas la peine d’examiner ce qu’ils condamnent qui font problème. Ça permet des règlements de compte de substitution sur le dos des artistes, de la culture en général. Quel mépris pour les artistes. Mais ce traitement expéditif, le peu d’appui tant dans la population que dans les milieux politiques et médiatiques révèlent aussi la fragilité de la culture et de ceux qui la font vivre. La culture, c’est ce dont on semble pouvoir se priver le plus facilement. Les artistes, ce sont des gens qu’on peut maltraiter sans risque. C’est ça qui doit changer. Et ce changement ne peut venir que des artistes eux-mêmes.

Deux piliers pour la culture : un Ministère et une Charte

Dans le dernier numéro de CultureEnJeu consacré au rôle de l’OFC, nous avons plaidé pour un ministère de la culture. Non que nous soyons tentés par la construction d’une « usine à gaz » fédérale ; il y aurait beaucoup à redire sur l’OFC et Pro Helvetia, nous le savons. Mais c’est tout de même par l’État que s’exprime la volonté d’un pays de valoriser sa culture, de la stimuler, d’en maintenir et développer la diversité. Sans aides publiques, c’est tout le pan créateur de l’art – non rentable par définition – qui est menacé de répudiation. Un ministère ne se définit pas par des appareils, mais par un contenu, par l’importance que les citoyens accordent à l’art.

À observer ce qui se passe actuellement, force est de constater que le fond du problème reste entier : qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Quelle est sa place dans une démocratie ? Jusqu’où va la liberté de l’artiste ? Quel rapport entretient-il avec l’argent ? Quelles seront les incidences sur la création d’une extension de l’Organisation mondiale du commerce ? Voilà tout un ensemble de questions, et d’autres encore, qui doivent recevoir des réponses. Il y a urgence. Les artistes ont besoin de clarifications sur ce qui les fait vivre, de s’identifier pour se défendre collectivement.

Dans ce but, les représentants des grandes organisations nationales fédérant les artistes de toutes disciplines ont convenu qu’il fallait ouvrir un grand débat qui aboutisse à la réalisation d’une Charte des artistes et des arts qui réponde à ces interrogations et nous unifie. Ce sera, bien entendu, une œuvre collective à laquelle enJEUpublic appelle d’ores et déjà chacun à contribuer.

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