Édito n°19, octobre 2008 – Don Quichotte & les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse
Selon ses ennemis et les bons docteurs de la politique suisse, la loterie nous envoie encore tous ses feux, mais serait déjà une étoile morte. Dans cette ambiance d’apocalypse, quatre cavaliers noirs font leur apparition à l’horizon. Aucun ne pourrait la détruire à lui seul, mais la combinaison de leurs forces maléfiques pourrait y parvenir…

Illustration © 2008, Bruno Racalbuto
Le premier s’appelle « Privatisation ». Il a déjà fait des ravages à nos frontières et pénétré en Suisse par les halles des machines à sous et certains bureaux de l’Office fédéral de la Justice. Aux dernières nouvelles, la privatisation de pans entiers des loteries d’État en France et en Europe en général serait en cours. La Suisse s’interdit d’adhérer à l’Europe, soi-disant pour garder ses spécificités, mais renonce d’emblée à défendre son système original de loteries de service public, pour suivre le troupeau de moutons européens jusque dans ses errements néo-libéraux les plus funestes… Et prêt à se précipiter dans les abîmes de la dette publique où les banques d’affaires les plus anti-étatistes veulent socialiser leurs pertes privées.
Le second cavalier est monté sur un coursier virtuel d’une rapidité légendaire, et répond au nom de « Jeu online ». Le ladre sans foi ni loi déracine sans état d’âme tous les points de paiements sur son passage : le revenu brut des paris, des loteries, tout est directement aspiré par une tornade qui transporte instantanément le magot vers les piscines des Caraïbes, hors d’atteinte de tous les fiscs, de toute redistribution mêlée d’éthique.
Le troisième, « Morale », ne se meut qu’enveloppé d’un brouillard provoquant des toussotements : le smog prohibitif – éthique, moral, voire religieux. Dénichant partout le pêché originel du Jeu Excessif, il n’apporte en soi aucune calamité, son débat s’appuie sur la plus parfaite légitimité, mais il suffit d’une simple goutte de mauvaise foi pour le faire virer en un agent redoutable, qui sert à amplifier gravement la puissance destructrice des trois autres Cavaliers.
« Frilosité alémanique », le quatrième cavalier, suit loin derrière et ne chevauche qu’un canasson flegmatique. Mais il n’a pas un long chemin à faire et n’a qu’une frontière à contrôler, le Röstigraben. Agissant à gestes retenus, il a une tâche facile, celle de reléguer les Romands dans un combat unanime, mais isolé – comme si le débat sur le mode de redistribution des loteries ne concernait pas les bénéficiaires alémaniques de Swisslos…
Pour l’instant, l’initiative donne quelques démangeaisons à ce Cavalier de la Désunion, qui voit des taches de signataires s’élargir dans son dos, au sein des sociétés sportives et dans le milieu culturel de toutes les régions alémaniques et tessinoises, mais rien encore d’irréversible.
Le bouclier de l’initiative vient se solidifier avec déjà plus de 130’000 signatures valables, mais il devra attendre encore plusieurs années avant de commencer à se déployer contre les deux premiers Cavaliers. Sans oublier qu’un passage de la Constitution helvétique ne peut à lui seul garantir la capacité d’une petite loterie de service public à servir le bien commun au cœur d’une Europe déjà conquise par les Cavaliers « Privatisation » et « Jeu online ».
Il faut donc bien « entourer » Don Quichotte en lui fournissant une cotte de mailles de 200’000 signatures en juin de l’année prochaine à Berne (but visé pour passer dans le top ten des initiatives les plus « populaires »). Un dépôt qui ne sera pas une simple formalité, mais s’annonce d’ores et déjà comme un tournant historique de la lutte des artistes suisses pour la défense de leurs honorables sources de financement.
Il pourrait se dérouler sur ce thème, sombre mais beau : Don Quichotte (2002) affronte les Cavaliers de l’Apocalypse (2009) !
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