Libre comme la vache dans son pré

Numéro 1 – Mars 2014

La liberté de l’art garantie par la Constitution vue par l’écrivain Daniel de Roulet

Sous sa forme d’énoncé constitutionnel, l’article 21 précise : « La liberté de l’art est garantie ». Beau principe, belle déclaration d’intention, mais qui, dans les faits, peut signifier deux choses complètement différentes. Pour les uns, dire que l’art est libre signifie libre, comme une vache dans un pré. À l’intérieur du pré la vache peut faire ce qu’elle veut, le fait qu’il n’y ait ni abreuvoir, ni herbe dans le pré n’enlève rien à sa liberté de vache. Ainsi les artistes sont libres d’exercer leur art sans contrainte en suivant leur nécessité dite intérieure.

Pour les autres, la liberté de l’art n’est garantie que si les conditions de son exercice le sont. Aujourd’hui la censure politique ou idéologique n’est rien à côté de la censure économique. La liberté de l’art ne saurait donc être réduite à la liberté du commerce. L’art n’est pas le divertissement, la culture n’est pas entertainment. C’est pourquoi le champ artistique a besoin d’une autonomie, voir d’un respect que lui porte la société tout entière. La liberté de la vache dans son pré, n’en est une que si la vache peut réellement accéder à son abreuvoir. (...)

La liberté de l’art signifie donc paradoxalement que ceux qui reconnaissent à l’art sa valeur critique doivent en plus accepter de donner à cet art les moyens de sa critique. Ces moyens sont symboliques d’une part, matériels de l’autre.

À l’intérieur du pré la vache peut faire ce qu’elle veut, le fait qu’il n’y ait ni abreuvoir, ni herbe dans le pré n’enlève rien à sa liberté de vache

Du côté du symbolique, cela signifie que la société, voire ses institutions, donne une place à l’art dans tous les domaines qui lui tiennent à cœur. Notamment l’éducation, la science et la recherche. Ceci est la seule garantie de la vivacité de l’art. Un art qui ne s’occuperait que du patrimoine (monuments historiques, bibliothèques et musées) serait comme une vache qu’on nourrit des carcasses de ses prédécesseurs pour la rendre folle.

Du côté du soutien matériel, il faut parler non pas d’art mais de culture. C’est ici que la deuxième intention, contenue dans l’article 69, prend son importance. Elle impose à la Confédération de promouvoir la culture, en complément de l’intervention des cantons et des villes.

Là aussi deux conceptions s’affrontent. Pour les uns, la culture, comme la voirie, est une affaire municipale, voire cantonale. La Confédération ne doit s’en mêler qu’en tout dernier ressort. Par exemple pour compléter une subvention à une fête nationale de yodle. Pour les autres, dire que la Confédération a des tâches culturelles signifie qu’elle définit une politique culturelle en fonction de laquelle elle ouvre des chantiers et structure ses institutions culturelles. La Suisse reconnaît par là qu’elle doit une partie de son existence à la capacité de ses créateurs. Sans diversité culturelle vivante, la Suisse n’est plus qu’une ancienne plate-forme off-shore où se dépose la fiente des goélands. Pour le moment en Suisse, seul le cinéma bénéficie d’un cadre national. Ce cadre ne satisfait pas tout le monde, mais sans lui, le cinéma n’existerait pas. Au cas où l’article 69 ne trouverait pas une transcription législative adaptée, la place du cinéma, isolé des autres arts, serait aussi menacée. Et la culture serait alors réduite au patrimoine comme le souhaitent les nationaux-conservateurs et, semble-t-il, le conseiller fédéral chargé de la culture.

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