De la caverne au pupitre
De la caverne au pupitre
Chronique : Christophe Gallaz, écrivain et chroniqueur
Depuis longtemps m’est venue l’idée d’exprimer de-ci de-là cette énigme : on ignore si les populations d’avant notre Histoire ayant décoré la Grotte Chauvet, à Vallon-Pont-d’Arc en Ardèche, ont suivi le moindre cours au sein d’une école d’art comme nous les connaissons aujourd’hui. Et comme ils sont évoqués ailleurs au sein de ce magazine.
En tout cas personne ne connaît d’institution comparable qui fût en activité voici 21’000 ans. Ni 2000 ans plus tard, d’ailleurs, quand d’autres artistes investirent en Dordogne actuelle les cavités de Lascaux pour y fi- gurer toute une sarabande d’aurochs et de bisons, de chevaux, de cerfs, d’ours, de rennes, de félins et de bouquetins. Or le travail de ces ancêtres, comme on sait, participe de l’art le plus foudroyant– établi sur des savoir-faire qui règlent magistralement, par exemple, des problèmes comme ceux de la perspective et de la troisième dimension représentées sur des surfaces inégales.
D’où cette interrogation qu’on pourrait supposer grossière ou réactionnaire : nos écoles d’art sont-elles utiles? Je veux dire: enseignent-elles à leurs élèves quoi que ce soit d’ignoré par leurs lointains modèles du Paléolithique supérieur? Ou pour le dire autrement: ces modèles auraient-ils tiré le moindre profit des for- mations dispensées par nos écoles d’art ?
Si l’on s’en tient à l’essence de la création artistique, c’est-à-dire aux principes intimes qui la font jaillir de certains êtres touchés par la grâce et soucieux de la formuler, les écoles ad hoc ne servent à rien. Elles auraient même tendance à tromper sur leur propre compte celles et ceux qui les fréquentent, en leur fai- sant se supposer capables d’invention même sans la moindre perception des vibrations secrètes à l’œuvre dans le monde.
On peut réfléchir plus généreusement, c’est vrai, en considérant l’école d’art comme le moyen privilégié d’une mise en miroir intime pour quiconque les fré- quente et s’y révèle à soi de manière possiblement féconde. On peut aussi la voir comme une cellule d’aide à l’insertion professionnelle et sociale dans la mesure où elle leur enseigne tout des paysages culturels et subventionneurs environnants.
Or c’est peu de chose à l’aune des ressorts sacrés qui définissent seuls la nature et la qualité de l’artiste au sens profond. C’est peu de chose, surtout, en notre époque où s’épanouissent les technicisations de la création, un processus équivalent de l’«hyperspécia- lisation» généralisée dont le sociologue et philosophe Edgar Morin notait voici quelques mois qu’elle préside à l’avènement « des pensées les plus pauvres touchant au monde physique, à la société, à l’humain comme à la vie». Le règne de l’hyperspécialisation généralisée, précisait le vieux sage aujourd’hui centenaire, étant aussi celui des idéologies.
Conclusion: inscris-toi tant que tu veux dans toutes les écoles d’art, chère jeunesse ! Mais en t’y méfiant de tout, c’est-à-dire d’elles comme de toi. Je caricature? Ce n’est pas exclu : je fus partout mauvais élève...